Un correspondant anonyme mais bien intentionné m’envoie, des bords de la Tamise, un fragment de journal en lequel je déguste des lignes savoureuses et bien britanniques.
Jugez plutôt.
La dernière réunion des végétariens anglais fut, paraît-il, empreinte d’un caractère d’intolérance plus farouche que jamais.
À la grande majorité, on répudia non seulement les personnes qui mangent de la viande ou du poisson, mais encore toutes celles qui font emploi, en vue de vêtements, ornements ou tous autres usages, de la peau, du poil, des plumes, etc., etc., d’animaux mis à mort.
« Mais le cuir ! objecta mollement un assistant. L’humanité ne saurait se passer de cuir, quand ce ne serait, voyons, que pour les chaussures. »
Alors, l’un des plus fanatiques croisés se leva et, d’une voix forte, dit :
« Les chaussures en cuir ne valent rien, rien de rien ! J’en fabrique en “herbe” qui leur sont mille fois préférables. »
Des chaussures en herbe ! L’assemblée n’en revenait pas !
L’apôtre reprit :
« Du reste, j’en ai apporté un certain lot, et je me ferai un plaisir d’en donner à tous ceux qui voudront bien les chausser ici même. »
Quelques pauvres diables s’avancèrent et reçurent chacun une paire de bottines en herbe.
(Que le lecteur ne croie pas à une plaisanterie. On fabrique, en effet, depuis quelque temps, et surtout en Amérique, une sorte de substance composée d’herbe traitée d’une certaine façon, puis agglomérée, comprimée, laminée, etc.).
Les vagabonds se déclarèrent tout d’abord ravis de ces étranges godillots, mais l’un d’eux, interviewé le lendemain par un de nos brumeux confrères, exprima, sur le mode amer, son désenchantement.
Récit du vagabond :
« Les bottines en herbe semblables à celles qu’on m’offrit hier sont très bonnes, très douces au pied et résistent fort bien à l’humidité.
« Je ne m’étais jamais senti si bien chaussé et me jugeais, au moins en ce qui concerne les extrémités inférieures, au sommet du confortable.
«Toute la journée, donc, je marchai sans éprouver la moindre fatigue, et, quand le soir fut venu, ce fut plutôt par coutume que par lassitude que je gagnai ma chambre à coucher.
«Ma chambre à coucher, il faut le dire, monsieur le reporter, n’est pas une chambre à coucher, au sens que les gens de la bourgeoisie aisée attachent à ce mot. C’est plutôt un square (duquel, rapport aux indiscrets policemen, vous me permettrez de celer l’adresse), sorte de petit parc où quelques moutons me servent de camarades de lit, si j’ose m exprimer ainsi.
« La nuit fut bonne et, déjà, je goûtais le pur sommeil du matin, quand j’éprouvai, soudain, un intolérable chatouillement à la plante (c’est le cas de le dire) des pieds.
«Mes amis, les moutons, tranquillement, paissaient mes bottines.
« Conclusion : Les chaussures en herbe sont tout ce qu’il y a de plus recommandable, sauf pour le cas des gentlemen qui se voient contraints à partager le dortoir des herbivores. »
Tel fut le récit du tramp.
Ajoutons, avec infiniment d’esprit, que pareille mésaventure attend les personnes qui essaieraient de se chausser avec des bottes de cresson.

Végétarisme intégral

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